Petits plaisirs d’été
C’est les fesses dans l’eau que j’écris ces quelques mots. Ma paume humide gondole le papier fragile. Au loin les cris d’enfants chassent le silence, le clapotis de l’eau atténue le va et vient des bateaux, les voiles glissent à l’horizon…
Je retrouve mon bureau de sable en cette extrémité de la plage, mon repaire déserté par la foule débarquée des villes qui se presse de l’autre coté de la petite marina. Là-bas, les parasols fleurissent la longue bande de sable, ici seuls quelques habitués végètent dans le calme. Aujourd’hui la météo annonçait 40 avec le facteur humidex. Je plains de tout cœur les citadins aux prises avec le smog et la canicule urbaine. Cette canicule qui n’est ici qu’une facette de ce petit paradis qu’abrite ce minuscule village niché dans les collines au bord du grand lac…
Dans cette chaleur étouffante, l’eau est merveilleusement bonne, si limpide que je peux voir le fond même lorsque je n’ai plus pieds. Avant de descendre à la plage, j’ai cru fondre sur place à l’ombre de ma cabane sous les arbres. Une fois rafraîchie par quelques brasses, je ne ressens qu’un immense bonheur. Sous ce soleil de plomb, une brume de moiteur enveloppe les montagnes. Elles enrobent de leur verdure retrouvée cette immensité d’eau qui fait ma joie. Une libellule arpente la surface et vient plus près voir ce que j’y fais.
En marchant dans le lac, alors que l’eau m’arrivait aux tétons qui pointaient leurs bouts de chair, j’ai rencontré un poisson qui dormait dans le fond, eau si claire que j’ai pu l'espionner un instant avant qu’il ne me remarque. Depuis cinq ans que je vis là, c’est la première fois que j’en vois un à mes pieds! Un bateau s’approche trop près de la rive, il fait jaillir quelques vagues qui éclaboussent mon cahier! Ici comme toujours, les mots s’écoulent sans effort, ils se délient à la beauté du paysage, miracle de la nature renouvelée.
Ici, les turpitudes de l'humanité retournée s’effacent. Elles fondent comme la neige oubliée des mois passés. Elles s’oublient entre deux petites vagues. Ici, le bonheur surgit sous chaque grain de sable…
Après le premier sentiment d’invasion ressenti lorsque les citadins font tripler le quota de population locale, lorsqu’ils ont ouvert toutes les portes des chalets abandonnés le reste de l’année, arrive alors des flots de joies qui se dispersent entre deux sourires et trois bonjours. L’on reconnaît les habitués, l’on voit passer les touristes en extase. L’on s’amuse de la bonne humeur locale. Comme se le rappelle Juan à chaque fois : « Ici c’est pas nous qui allons en vacances, c’est les vacances qui viennent à nous avec tous ces gens si heureux d’être là! » Les enfants pullulent, fait assez rare en notre société québécoise, les adultes se reposent, feuillètent des bouquins ou des magazines au coin de l’eau. Sous mon chapeau de paille, j’observe cette vie qui s’étale. Cette vie qui reflète le meilleur de ce qu’elle peut donner en cette jolie boule toute bleue.
À chaque entrée de la plage, les petits stroumpfs sont de retour avec les journées chaudes! Car n’entre pas qui veut en ce petit paradis d’eau. Il faut d’abord montrer patte blanche, seuls les résidents du village ont accès à cette longue bande de sable. Les petits stroumpfs s’ennuient à l’ombre de leur parasol lorsque s’amuse la plage sous leurs yeux. De mon coté du paradis, seuls quelques habitués ose s’aventurer. L’on se salue puis l’on se laisse vivre. De l’autre coté, la plage bondée s’ébroue et palpite d’humanité, de rires, de frisbee et de jeux d’été. Tout un contraste si l’on repense aux mois d’hiver où la glace emprisonne le grand lac…
Les ados gâtés par leurs parents et une existence dorée s’épanouissent entre camaraderie estivale et moteurs énervés. Je me demande si nous pourrons faire en sorte que ce petit être qui se meut en mes entrailles ne manque jamais de rien. Pauvres chez les privilégiés, nous pourrons au moins lui offrir un environnement plaisant! Il pourra y faire ses premiers pas en attendant d’avoir une chambre à lui. Sommes-nous à plaindre? J’en doute en ces journées bénies! Tant que l’on ne mange pas trop de pissenlits, il y a pire placés dans cet univers régit par des notions matérielles qui n’en finissent plus d’user la planète…
Je me demande si une fois qu’il sera né, je perdrai cette liberté d’observer avec insouciance l’air du temps qui passe sur le grand lac. Cette liberté de me réfugier dans ma bulle d’eau, de profiter en silence de mon bureau de sable pour laisser ruisseler ces petits témoignages quotidiens qui s'estompent aussi vite que je les inscrits de ces quelques mots envolés…
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