lundi, février 21, 2005

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Avec les fourchettes,

Ces derniers jours, je ne suis pas dans mon assiette. Pour des raisons x,y,z qui sont le résultat d’équations plus mathématiques que pratiques, je ronge mon frein en silence. Je me rends compte de l’ampleur des dégâts lorsque je me trouve à regarder, pour la première fois, cette émission sans être dérangée par les façons de l’animateur. Pour la première fois ce « Marco » (qui d'habitude ne me plaît pas) me glisse sur la peau sans m’irriter, sans atteindre mon mental trop détaché pour s’en préoccuper. J’en reste soufflée. J’en profite pour écouter les discours des invités qui défilent sur ce plateau télévisé. Il y a Dombasle qui ne vieillit pas, elle aussi pour une fois ne m’aiguise pas les nerfs, mon Dieu, je dois vraiment être à coté de la plaque! Monseigneur Di Falco discute de la santé du Pape, Mathilde Seigner me fait rigoler, elle je l’aime bien, son naturel me rassure. Il y a cette jeune fille qui a écrit un livre avec un titre à coucher dehors mais dont les paroles trouvent échos en mon âme tourmentée. L’acolyte relativement sympathique et Chimène que je découvre sans connaître. L’affreux jojo mène la danse sur des rythmes qui généralement ne me reviennent pas mais pour une fois il ne me fait pas sauter sur la télécommande pour lui zapper la face d’un coup sec. Je regarde passer le générique de fin en réalisant que je pédale réellement à coté de mes baskets!

Je crois que l’on a tous en soi des nids de souffrances où des douleurs secrètes couvent des embryons de malaises. Présentement comme les serpents sur la tête de Médusa, mes soucis s’agitent furieusement autour de mon crâne. Entre deux angoisses avortées, je gobe sans respirer l’un de ses œufs pourris. J’évite de mon mieux ces tunnels de ténèbres qui cherchent à m’aspirer. Je rame dans cette barque chahutée par des flots turbulents. Seule parmi les ombres, je combats encore et toujours. Épuisée, je m’écroule, je me laisse saigner sur le plancher tout en sachant bien que cela ne me tuera point. Ces blessures ne seront rien que d’autres cicatrices qui viendront se greffer au palmarès de mes peines. Rien d’alarmant en soi. Je ne suis juste pas dans mon assiette! Cachée dans le tiroir des fourchettes, comme une chatte maltraitée, je lèche mes plaies en ronronnant. Je contemple mon âme égratignée. Je sais que c’est à force de combattre le malheur que je suis devenue accro au bonheur, pour ne jamais abdiquer, pour toujours continuer de rêver…

Ce matin, je force mon corps à accueillir mon esprit assez longtemps pour traverser ce cours qui me fait tant de bien. Je ne vomis qu’une fois en chemin. Il me revient en mémoire les histoires de la fille anorexique-boulimique de passage chez « Marco ». Sans être atteinte des mêmes troubles alimentaires, je sais que mes troubles existentiels sont en liaison directe avec mon estomac. Qu’il soit vide ou plein lorsque que la tempête se déclare, ses vagues deviennent des spasmes qui m’emportent les tripes sans que je ne puisse rien contrôler. Je repense à Mélie qui m’expliqua l’autre jour comment elle avait appris à boire et vomir sans se faire de mauvaise bile. Moi qui n’aime justement pas boire parce-que je finis toujours en tête à tête avec le bol des toilettes, je suis restée épatée (et amusée) devant ses explications personnalisées! J’essaie de ne point dramatiser. Je me prends en main, je sors dans le froid sibérien, par politesse, je cache une autre fois ce mal au creux de mes entrailles. Lui me regarde souffrir sans trop savoir quoi faire. Je le peine sans rien pouvoir y faire.

Lorsque j’ai rencontré Juan, j’étais en miettes. L'autre me piétinait l'âme cruellement. J’errai dans un territoire de ruines. Je vomissais régulièrement cette vie que je considérais des plus inutiles. Je trimballais mon cœur brisé à fleur d’estomac, pas besoin d’y penser, pas besoin de manger pour évacuer cette douleur qui me détruisait lentement de l’intérieur. Juan eut bien du mal à comprendre mon processus digestif. C’était aussi étrange qu’inexplicable. Incapable de digérer un trop plein de malaises divers, seule dans mes petites misères, je plongeai dans mes gouffres sans me soucier de m’y noyer, sans m’inquiéter de retrouver la surface des jours, je me sentais m'évaporer. Juan me récupéra alors que j’oscillai entre deux pôles. Je crois que sans son amour pour soigner mes plaies béantes, je n’aurais jamais retrouvé la force d’avancer.

Il n'y a que le chemin des mots qui me donne envie d'exister parmi les humains et c'est certainement l'un des plus compliqués! L’écriture est ma malédiction personnelle, ma vie aurait été si simple si je n’avais pas connu cette passion des mots pour enivrer mon existence dès mon plus jeune âge. Pour me voler l’affection de cette femme qui ne me connaît plus. J’aurais pu accepter d’emprunter ces chemins matériels qui sont la norme pour tant de gens. J’aurais pu être comme les autres, avoir les mêmes soucis, les mêmes envies, les mêmes déboires, j’aurai pu être comprise. Ou alors j’aurais dû croire en l’argent plutôt qu’en l’amour, me laisser emporter par un homme déjà usé mais aisé, au lieu de vouloir tout recommencer à neuf avec un jeune garçon qui possédait la même essence que moi mais sans un sou pour me gâter! Évidement avec des « si » je pourrais reconstruire Paris et même rendre aimable tous les parisiens qui y vivent!!! Que de foutaises!

Ainsi, pour en revenir à la vraie vie, je me lève ce lundi, l’humeur au fond du bol. La prof, Miss Combat est géniale, en d’autres circonstances, j’aimerais l'avoir comme amie. C’est une hybride culturelle, tout comme moi! Elle est trés forte. Je reconnais quelque chose en elle qui me touche, qui m’inspire, qui m’accroche. Je l’ai dans deux cours et c’est un plaisir que de finir ce parcours universitaire sous ses ordres. Mais ce matin, il semble que je ne sois pas la seule dans un pétrin de février, les absents font légion et les présents sont de véritables zombies, ma pomme comprise...

Avant la pause, Miss Combat nous exprime, avec gentillesse, son tourment devant nos faces obstinément silencieuses. On la déprime un peu. Je la comprends! Elle est si passionnée et entière dans ce savoir qu’elle aime partager avec nous, pauvres esprits égarés du lundi matin. Après la pause, j’essaie de faire obéir mes nausées existentielles et je me force à retrouver ce quota de participation que j’ai l’habitude de lui donner. Je sais que cela peut aider à mettre un peu d’ambiance, à faire vivre ce cours qu’elle trouve bien mort (avec raisons aujourd’hui). Je donne un peu de mon esprit à la cause. Je revêt même mon habit de clown le temps de savoir jusqu’où pousser la grossièreté dans cet extrait d’Irving que nous traduisons. Quel est le niveau de langue de « to get laid » dans une engueulade entre deux mariés qui se séparent et se balancent leurs infidélités à tours de phrases ? Je propose des options, un concept, j’en rougis jusqu’aux oreilles, la classe piaffe. C’est une bonne question! La prof retrouve le sourire et embarque « drette live » dans cette ouverture pour expliquer l’un de ces milliers de procédés de traduction que nous étudions…

Le cours se passe tant bien que mal. Mon estomac fait régulièrement des bonds mais j’arrive à le tenir sans qu’il ne déborde sur mon bureau! Avant de partir, Miss Combat m’accoste pour me rendre ce livre que je lui avais confié, elle en profite pour me prêter ce livre dont tout le monde semble me parler ces dernières semaines. Histoire d’oublier les remous de mes entrailles, je me plonge dans cette histoire qui ne peut guère me faire de tort et je me laisse disparaître entre deux phrases…


Fork ~ Andre Kertesz

Drette live : immédiatement, sur-le-champ...

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