Papotage frigorifié
Ce matin, point de rosée –31! Un jour il faudra que l’on m’explique ce calcul, parce-que je ne comprends pas comment il peut y avoir quelque rosée qu’il soit à cette température là! En bref, il fait ben d'trop frette!
Hier, en allant à une réunion sur le campus, j’ai eu le temps de me geler l’intérieur des narines dans les quatre minutes passées dehors! Vitesse record de congélation humaine! Le souffle est vite coupé par la brûlure de l’air qui pénètre les poumons. Le froid devient presque solide, l’on nage dedans tout habillé! Parce-que franchement lorsque l’on ne peut plus respirer sans avoir le nez collé de l’intérieur, c’est qu'il fait sérieusement froid! Je sais, je chiale sur le froid, je suis dans ce creux d’hiver qui me noie…
En mode survie, en mode attente, je ne trouve pas en moi la force d’apprécier tel temps aussi ensoleillé soit-il. Je serre des dents. Je rêve d’ailleurs et de couleurs. Pour pouvoir être bien dehors, il faudrait que j’accepte de m’habiller comme le font les amoureux du froid. Parfois pour un tour de ski de fond, de patins ou d’hôtel de glace, je me plie et enfile ces épaisses couches qui me protégent pour affronter l’air méchant. Mais je vais quand même pas aller à l’université avec un look de motoneigiste!!!
Sur ce point j’ai vu cette semaine une vision qui m’a totalement renversée: Alors que j’étais emmitouflée dans la chaleur de la voiture et comme à l’habitude des derniers jours il faisait aux alentours de –30 avec facteur vent (et Dieu sait que sur le campus souffle le vent!). Je vois une jeune fille marcher dans la rue jambes nues! Oui, oui, jambes nues! Je faillis m’étouffer sur place, j' écarquillai les yeux et pointai à Juan le phénomène saugrenu:
- Regarde, elle, j’y crois pas! Elle est en jupe sans collants! C’est débile comment elle fait pour vivre! Je veux bien croire qu’elle a de hauts bas, mais quand même, elle a pas de collants!!!
L’on s’arrête au feu rouge, la fille nous dépasse d’un pas de marche bien rythmé. L’homme tout aussi surpris, bien que moins conscient de l’incroyable de la chose, n’ayant jamais eu l’occasion de se promener en jupe par temps frais. Mais là ce n’est plus de temps frais dont on parle, c’est de Pôle Nord! Je veux bien être « fashion oriented » mais là cela dépasse mes propres bornes! J’ai encore devant les yeux l’image de ses genoux découverts sur fond de neige et de fumées pétrifiées. L’homme complètement résigné depuis sa vision de dimanche dernier sur le lac gelé soupire et pour la énième fois depuis ce jour me répète la même phrase avec l’intonation locale bien maîtrisée :
- J’te dis les Québécois, c’est fait fort!
L’on se regarde interloqués et je peux encore voir en lui cette image qui le bouleversa dimanche. Nous étions sur le lac dans le soleil couchant, nous avancions d’un pas rapide en direction de notre chalet, lorsqu’une motoneige tirant une espèce de luge à chiens avec un petit bout de chou debout, s’agrippant de ses deux petites menottes à l’arrière du truc, fila devant nous à vive allure. L’on resta bouche bée devant la vision de ce petit bonhomme (5 ou 6 ans) accroché à l’arrière de cette drôle de caravane, fouetté par le vent, ballotté par la vitesse qui passa devant nous. Juan s’exclame :
- Mais t’as vu ça! C’est retardé! Mais s’il tombe le gamin, il était vraiment petit, pis t’as vu comme il était dans le vent, ça doit vraiment pas être chaud, mais ils sont fous! S’il tombe, il se tue!
- Oui c’était hallucinant, mais il avait un casque le "Ti' Cul", t’as pas vu son casque?
- Hein, non, j’étais trop choqué! C’est sûr avec un casque c’est moins pire mais quand même! Tu m’étonnes qu’ils sont fait fort les québécois de campagne. C’est formé jeune à l’hiver ces bêtes là! Il m’a franchement tué ce "petit cul"!
L’on reprend la route en silence, je l’entends marmonner devant moi et je ne peux m’empêcher d’en rire. Finalement, il aura été pas mal divertissant ce petit bonhomme qui filait dans le froid. Depuis cependant Juan a du mal à s’en remettre et plus rien ne l’étonne. Il faut dire qu’il y a toutes sortes de légendes locales sur les exploits des générations éteintes qui continuent de se mouvoir dans la mémoire hivernale…
Malheureusement mes racines ne se nourrissent pas de l’hiver local. Le coin de France qui me vit naître n’est pas étranger à l’hiver mais c’est du pipi de chat comparé à ce qui se vit ici les mois de janvier-février. Je crois que c’est mon seizième hiver ici, mon cinquième prés de Québec...
À Montréal il fait aussi froid mais il me semble que c’est un peu moins rude qu’ici (prés de Québec). Durant la dernière session, je me souviens avoir été amusée par une collègue de classe originaire de Trois Rivières qui m’expliqua en long et en large comment Québec était beaucoup plus nordique que sa campagne située à environ deux heures d’ici en allant vers le Sud. Sud qui reste une notion relative où que l’on soit au Québec en plein mois de janvier! Qui sait, la fille en jupe de l’autre jour venait peut-être du Grand Grand Nord???
Art caché derrière le mot hiver="Winter" de Amy Brown
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