Échos
Est-ce que nos actions peuvent parfois former des échos qui se réverbèrent dans l’air du temps? Parfois c’est une question que je me pose sérieusement…
Hier, je décide d’un look décapant, bottines roses à l’appui, je sors affronter la ville. J’ai un deux heures à tuer avant mon cours, je décide d’aller réviser dans un café , juste à coté, hors campus, histoire de me changer les idées. Ma commande faite, je monte m’installer au deuxième étage, je me trouve une table prés d’une énorme baie vitrée, et en sirotant mon coke diet, je sors mes cahiers pour me plonger dans des notions de linguistique ambiguës. Je fais semblant de ne pas voir l’homme à coté qui m’oberve du coin de l’œil et cherche mon regard, pas vraiment le goût de discuter, j’ignore l’intrus qui essaie de se frayer un chemin dans ma bulle hermétiquement fermée. Je sens le poids de ses regards et finis par en croiser un. Il me sourit, je lui en esquive un autre en retour et replonge dans mes pages sous le feu brûlant de son intérêt évident à mon égard.
D’origine Arabe, il semble avoir dépassé la trentaine et travaille sur son portable en fumant des cigarettes. Il se léve et s’approche doucement de moi pour me demander de surveiller ses affaires, j’acquiesce, distraite, je continue d’étudier. Je réalise qu’étudier en ces conditions, c’est un peu comme blogger, on sait que l’on est regardé et l’on vit ses journées "pareil"! Je décide que s’il encore là au bout de 60 pages avalées, je lui parlerais peut-être. D’énormes nuages cachent le soleil brillant et je me lève pour de ma main digitale attraper quelques moments présents. Il ne peut s’empêcher de me demander timidement du bout de sa table :
- Mais tu fais quoi?
- Oh! Je fais juste prendre quelques photos du ciel. J’aime bien observer le ciel et les nuages.
Je me rassois et m’apprête à reprendre le fil de mes lectures lorsqu’il s’infiltre dans ma brèche.
- Tu étudies à l’université?
- Oui, toi aussi?
- Oui, tu as des examens?
Il pointe mes cahiers étalés devant moi. Je lui réponds.
- Oui, c’est la fin de session…
- Tu es en quoi, tu étudies en art?
- Heu, non, là, je fais de la linguistique…
- Oh…
- Et toi?
- Biochimie…
- Oh…
Je lui souris gentiment et retourne dans ma bulle, je n’ai pas terminé mes chapitres et je suis pas venue ici pour faire la causette, "so", je reprends le fil de mon indifférence. Je le sens continuer de m’observer. Je réalise peu à peu que cette situation a d’étranges parallèles avec le sketch que j’ai joué samedi soir. Mon cerveau se pose. Je sens une douloureuse solitude émaner de cet homme d’ailleurs qui semble soudainement charmé par mon humble présence à ses cotés. Je le vois désespérer du coin de l’œil, je le vois proche de capituler, essayant de prendre un maximum de temps pour regrouper ses affaires. Ma raison forme une porte et je l’ouvre devant lui. Subtilement, je le regarde, l’encourage du regard à la traverser et me voilà subitement face à l’inconnu…
Il se rapproche et engage la conversation. Il me demande des trucs d’université, je m’intéresse aussi à son existence. J’apprends qu’il est en maîtrise. Depuis deux ans au Canada, un an à Montréal, depuis la rentrée à Québec. Il a quitté les résidences depuis deux semaines pour emménager en appartement. Je lui demande d’où il vient. Il me parle de la Tunisie, et je commence à comprendre mieux ma vie. Toute féministe que je suis, je le branche voile. J’apprends que la Tunisie est des plus libérales et qu’il y règne une interdiction d’y porter le voile. Je reste intriguée, il me semble bien en effet que j’en avais entendu parler. Il se renseigne subtilement sur ma condition et semble bien dépité d’apprendre que je suis mariée. Je le vois reculer dans l’invisible puis se faire une raison, je trouve cela mignon. Je lui demande s’il est célibataire et ressens une étrange détresse derrière sa réponse positive. L’on parle de la famille, il me partage sa nostalgie des siens, l’on discute des valeurs d’ici, à ce sujet bien différentes de ce qu’il a connu.
Taquine parce-que dérangée dans la quiétude de ma bulle, je le branche religion, il se plie à merveille. Je me rends compte alors de la richesse de cette étrange conversation, il me parle du Coran que je connais si peu, me donne de bien jolies images qui touchent ma logique intérieure. Une petite once de mon être grandit durant quelques secondes. Le temps passe et je vois arriver l’heure de mon cours. Il comprend l’obligation et l’on continue de discuter tandis que je ramasse mes choses. L’on se rend à la réincarnation qui fait partie de mes croyances personnelles lorsqu’un homme, qui s’était assis à la table opposant la mienne, s’insère savamment dans la conversation, pour accentuer mes opinions en y apposant les siens. Québécois sympathique, les yeux bleus et les cheveux longs, il me parle d’auteurs sur ce sujet que je ne connais point. Tandis que se passe l’instant présent mon cerveau se pose sur un coin de table désert et ne cherche plus à comprendre cette vie qui est mienne. C’est que, à la base, j’étais juste sortie de mon bois, comme ça, par hasard, juste pour étudier tranquillement avec un café devant ma pomme!
Je descends l’étage et me dirige vers mon « char ». Le Tunisien m’accompagne, galant, pas méchant pour deux sous, je réalise que je ne sais même pas son nom. J’apprends de ma leçon avec le dernier garçon inconnu. Je m’arrête, lui tends la main et me présente en lui demandant son prénom.. Habib. C’est joli. Il me serre la main une minute de plus que la normale, je le laisse faire. Je sais très bien qu’il y a peu de chance que je le revoie un jour. Ce n’est pas le premier inconnu à croiser mon chemin le temps d’un échange humain et avec le temps, je suis peut-être devenue un peu blasée…
L’on se quitte amicalement, je lui souris tendrement, je laisse flotter les émotions et les cueille comme un bouquet de sensations. Je lui fais un geste de la main et disparaît à la poursuite de mon quotidien…
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